Sunday, February 22, 2015

La cage de la perruche


Quand j'étais jeune, j'ai eu la joie d'avoir quelques animaux domestiques, dont plusieurs perruches: Cocotte, Bingo et ce fameux Bobby. Ces oiseaux colorés, un peu tapageurs, demandaient peu d'attention au-delà du routinier nettoyage de cage, ainsi que l'apport quotidien d'eau et de nourriture. Moins divertissants qu'un chien, ils étaient aussi moins exigeants à entretenir. Lorsqu'ils faisaient un peu trop de vacarme, il suffisait de mettre une couverture sur la cage pour que les oiseaux retrouvent le calme. Une astuce que j'ai toujours trouvé comique, puisque les oiseaux se faisaient facilement bernés, ils croyaient que la nuit était tombée et que c'était maintenant le temps de dormir. Même s'il n'était que 14 heures. De leur perpsective, avec toutes les données disponibles, il était pour eux parfaitement sensé de croire que la journée était terminée. Heureusement, nous, les humains, nous en savons davantage alors on ne se fait jamais berné.


Vraiment?


Pour continuer l'exemple de la cage de la perruche, un jeune enfant pourrait trouver assez naïfs ces oiseaux qui croient faussement que le soleil s'est couché. Mais qu'arrive-t-il, si par un hasard exceptionnel, que le même gamin observe dans le ciel une éclipse totale? Avec l'absence de lumière et une méconnaissance de l'astronomie, le jeune pourrait lui aussi croire que la nuit est arrivée, parce que ses sens lui révèle que le soleil est absent. Un adulte, informé, pourrait l'informer qu'il est encore jour et qu'il s'agit seulement d'un rare phénomène astronomique. L'adulte possède davantage de données et peut mieux évaluer ce qui se produit réellement, alors que l'enfant, pris dans un «brouillard informationnel» (fog of war), produit avec des données incomplètes une interprétation complètement fausse, mais à défaut de connaître mieux, lui semble d'abord vraie. Comme la perruche qui dort sous la couverture.


Mais bon, ce sont des exemples de nature triviale, non?


Pensons-y un instant. On vit quotidiennement dans un environnement qui nous appelle à prendre des décisions, à évaluer et à émettre des opinions sur des sujets pour lesquels on n'a pas toujours la possibilité, le temps, les expertises ou même la simple curiosité pour en obtenir toutes les informations pertinentes avant de procéder. On utilise des raccourcis, des préjugés, des bouées. Et ce qu'on appelle « le gros bon sens ». Par exemple, au Québec, en cet hiver rigoureux de 2015 (blâmons les libéraux...), la météo est plutôt froide, ça se ressent physiquement. Si on se fie au « gros b.s. » et aux opinions qui nous proviennent en droite ligne des radio-poubelles et des négationnistes en environnement (les «climato-sceptiques» à la solde de l'industrie pétrolière et les prêtes-noms des frères Koch), on pourrait se dire que le réchauffement planétaire est un mythe. Ce serait comme la perruche qui constate que la nuit est tombée, parce qu'elle ressent l'absence de lumière et que les autres oiseaux dans la cage pensent aussi la même chose. Or, avec du recul, de meilleures données - comme celles de la NASA - on constate que globalement le climat s'est réchauffé, mais que le Québec fait figure d'anomalie avec des températures plus froides qu'à l'habitude. Donc, la première impression, celle basée sur les sens et l'opinion du voisin, est fausse.


On pourrait poser la même réflexion sur le «débat» (bien que scientifiquement, il n'y a aucun débat) concernant les vaccins contre la rougeole. Une personne peut très bien affirmer, à partir de sa propre perspective, qu'elle n'a jamais été malade même si elle n'a jamais été vaccinée contre la rougeole. A première vue, c'est vrai, mais l'interprétation est faite à partir de données partielles. Dans la réalité, les pratiques de vaccination en Occident permettent d'obtenir ce qu'on appelle l'immunité grégaire: quand suffisamment de personnes dans une société sont vaccinés contre une maladie, celle-ci a de sérieuses difficultés à se répandre, à contaminer la population, au point que ce «bouclier» protège les gens qui n'ont pas été vaccinés (e.g. les bébés trop jeunes pour avoir reçu le traitement). Donc, c'est peut-être vrai qu'une personne peut être en santé sans vaccin contre la rougeole, mais c'est surtout parce que la majorité des gens autour de cette personne ont été vaccinés contre cette maladie. Il faut avoir à l'extérieur de la cage.


En bout de ligne, la leçon, c'est que nos sens nous trompent, tout comme nos premières impressions. Ce qui semble «vrai dans notre coeur», ce que Stephen Colbert appellerait du «truthiness», ce qui relève du «gros bon sens» peut paraître vrai si on se base seulement sur données partielles, mais peut aussi s'avérer complètement faux lorsque ces informations sont complètes. D'où l'importance, dans notre environnement social de prendre du recul, s'informer auprès de sources fiables (et pas seulement auprès des autres «perruches» qui confirment notre opinion déjà établi...), se questionner, plutôt que de réagir de manière instantanée à la question du jour des médias de masse. Si nos préjugés nous réconfortent, nous rassurent, il reste qu'une cage dorée reste tout de même une cage.


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Images:


1. perruches (domaine public):
http://fr.wikipedia.org/wiki/Perruche#mediaviewer/File:Melopsittacus_undulatus_Revivim_4.jpg

2. carte climatique (image fournie par la NASA):
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/environnement/201502/16/01-4844762-un-hiver-exceptionnellement-chaud-sauf-au-quebec.php