Friday, January 25, 2013

Idle No More et le Forum social des peuples: mettre de l'énergie à la mauvaise place ?


Récemment (1), les organisateurs du mouvement Idle No More du Québec se sont rattachés au lancement du Forum Social Québec - Canada - Peuples autochtones. Le nom a au moins le mérite d'être en français - et j'ai critiqué sévérement le mouvement Idle No More pour sa négligence envers le fait français au Québec (et remarquez que le slogan n'est toujours pas traduit après plus d'un mois, mais ça importe peu maintenant vu que le momentum est perdu, que le hockey dominera le contenu des médias prochainement).

Il reste toutefois que la mission première du groupe, déstabiliser le gouvernement Harper par une variété de moyens de pression, oublie une chose: les projets de lois sont votés à la Chambre des communes, par des députés suivant la ligne de parti d'un gouvernement conservateur majoritaire. Je suis pour la vertu et la dénonciation du gouvernement Harper, mais il reste que dans un contexte purement québécois, le principal moyen de faire pression sur Stephen Harper, c'est d'empêcher qu'il obtienne des sièges au Québec. Or, la mission est largement accomplie: les Québécois ont voté pour le Bloc Québécois durant la période où portant les médias nous parlaient d'un vent conservateur émanant de la Ville de Québec, et lors des élections suivantes, pour contrer les Conservateurs et par sympathie à l'égard de Jack Layton, les Québécois ont suivi massivement la vague orange dans une tentative vaine de tendre la main aux progressistes du Canada anglais. Quand bien même que les militants autochtones du Québec fassent tous les efforts nécessaires pour empêcher que Stephen Harper obtienne des votes, il reste que la bataille comme telle pour le contrôle du gouvernement fédéral se passe à l'extérieur de notre province. Continuons à dénoncer le virage à droite, oui, mais n'en faisons pas le principal enjeu.

Il y a par contre au Québec un gouvernement que les Autochtones peuvent déstabiliser: le gouvernement provincial, minoritaire, dirigé par Pauline Marois. Ce gouvernement est vulnérable aux pressions et le Parti québécois, devenu essentiellement une machine électoraliste sans projet de société, peut être sensible à certains enjeux, ne serait-ce pour garantir sa propre survie. L'un de ses enjeux, qui touche directement les Autochtones, c'est le Plan Nord (qu'on appelle maintenant "Le Nord pour tous", comme si dire gonorrhée à la place de chaude-pisse changeait réellement quelque chose) que le gouvernement Marois cherche toujours à imposer aux Autochtones. Bref, je pense que l'approche pancanadienne contre Harper devrait être placée au second rang face à des enjeux nationaux ici même au Québec.

D'autre part, je crois qu'il faut un sérieux renouvèlement du discours des militants autochtones. Les Autochtones peuvent revendiquer des droits, s'opposer à des projets (j'appuie à 110% la protection de la forêt de Poigan), mais il faut aussi par moments qu'ils offrent quelque chose, comme un projet rassembleur, et focaliser l'attention sur cette offre. Par exemple, les Inuit du Grand Nord ne font pas seulement de s'opposer aux projets de développement du Québec, mais, grâce à une concertation au sein de la Société Makivik, ils offrent un plan de développement économique, le Plan Nunavik. Ayant leur propre plan, les Inuit peuvent négocier avec le gouvernement provincial, de manière à ce que les deux plans s'harmonisent et aboutissent à un enrichissement mutuellement bénéfique, tout en tenant compte des sensibilités locales, comme les questions sociales et environnementales. A quand un Plan Nitassinan chez les Innus?

Bref, en trois points:

1. C'est bien de s'opposer à Stephen Harper, mais concrètement il ne faut focaliser trop là-dessus parce que le Québec ne votent déjà pas pour le parti conservateur.

2. Le gouvernement provincial du Québec est plus vulnérable aux critiques et il devrait être ciblé davantage.

3. Le discours autochtone doit être renouvelé de manière à ce que les revendications s'accompagnent aussi d'une offre, d'une alternative claire, compréhensible et bénéfique pour l'ensemble.



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(1) Autochtones et non-autochtones fondent un Forum des peuples contre Harper - Les initiatrices d'Idle No More vont à la rencontre des mouvements sociaux:
http://www.newswire.ca/fr/story/1104047/autochtones-et-non-autochtones-fondent-un-forum-des-peuples-contre-harper-les-initiatrices-d-idle-no-more-vont-a-la-rencontre-des-mouvements-sociaux

(2) Plan Nunavik
http://www.makivik.org/fr/building-nunavik/le-plan-nunavik/

La fin d'Idle No More: Repli stratégique, Réflexion, Re-déploiement





Avec Theresa Spence qui met fin à sa grève de la faim, c'est le temps de mettre un terme à la campagne Idle No More et passer à autre chose. Le momentum est terminé. Par contre, il reste de nombreuses causes autochtones à défendre, il faut rester pro-autochtone, mais un repli stratégique s'impose, ce qui ne veut pas dire l'abandon, une réflexion quant aux moyens et aux objectifs doit être fait, dans le but de redéployer les militants quand un réel plan sera mis de l'avant.

Le mouvement Idle No More a raté sa cible de plusieurs manières. D'abord les organisateurs québécois étaient en mode réactif plutôt que proactif: on voulait suivre la vague, participer au grand hashtag (dièse) idlenomore, et occuper une tribune. On n'a pas constaté que twitter, c'était un outil de diffusion, pas un objectif en lui-même. On a enfreint la première règle de toute campagne de publicité massive au Québec, comme établie par le grand publiciste Jacques Bouchard, qu'une publicité québécoise doit être conçue et exprimer en français pour rejoindre les gens d'ici; à la place, le mouvement s'est contenté de prêcher à des gens déjà convertis. Le mouvement a voulu agir rapidement, un peu comme un joueur de soccer, étourdi par un ballon qui le frappe à la tête, le prend et courre de toutes ses forces vers son propre but avec 110% d'énergie: personne ne doutera de la motivation sincère du joueur, mais autant d'énergie qu'il puisse mettre, il reste qu'il ne fixe pas le bon objectif.

Sans objectif clair et compréhensible, le mouvement n'arrive pas à focaliser les efforts, et il n'y a pas que moi qui le dit: Stuard Miyow, du conseil traditionnel mohawk, déplorait la confusion dans les messages, même si, comme moi, il est pro-autochtone. Si pour les carrés rouges, l'opposition à la hausse des frais de scolarité était claire, pour le mouvement idle no more, il était très difficile de discerné une revendication claire. Theresa Spence? Les traités?

Un autre problème est l'absence de renouvèlement du discours autochtone. Je crois que les Autochtones doivent passer du stade "on revendique des choses" à "on peut contribuer de manière significative au développement du Québec". Il faut passer des éternelles demandes à celle de l'offre. Il ne fait aucun doutes que les cultures des 11 nations ont beaucoup à offrir au Québec. Après tout, sans Autochtones, le Québec n'aurait pas son propre nom.

Monday, January 14, 2013

Plumes rouges et questions autochtones


Dans le contexte de la contestation actuelle du gouvernement Harper par les Autochtones et leurs sympathisants et de la complexité du dosssier en question, il est parfois difficile de pouvoir bien discerner les enjeux en question. Que représente réellement le mouvement « Idle No More » (que je traduis librement par « Fini de se faire plumer », question de conserver le contenu plutôt que le contenant et de mettre un terme  à cette anglicisation forcée à laquelle les organisateurs font sourde oreille)? Est-ce un mouvement issu de la base, comme le présente les différents portes-paroles et les médias conventionnels, ou est-ce un groupe téléguidé par les élites du Media Party, comme le dit Ezra Levant entre deux doses de LSD?


Qui sont les Indiens ?


« Mais qu'est-ce qu'ils veulent, eux, les Indiens ? »


Dans un premier, lorsqu'on aborde la question des Autochtones, il faudrait d'abord simplifier et en parler dans un contexte strictement québécois, sinon on se perd dans le capharnaüm canadien. Au Québec et dans la plupart des provinces canadiennes et ses territoires, il existe trois catégories de peuples autochtones:

  • Les Amérindiens comme tels, ceux qu'on appelle les Indiens d'Amériques ou Premières Nations
  • Les Inuit (singulier: Inuk)
  • Les Métis

Les peuples amérindiens et les Inuit forment des groupes culturellement, ethniquement et géographiquement bien différents. Par exemple, les Inuit vivent sur trois continents: Europe (Groënland), Amérique du Nord (Alaska et Grand Nord canadien) et Asie (la Béringie dans l'extrême-orient russe), alors que les Amérindiens sont retrouvés en quantité significative seulement en Amérique du nord. Génétiquement, les Inuit sont distincts, car leurs ancêtres proviennent de vagues d'immigration provenant beaucoup plus tardives (la remontant à l'an 1000 de notre ère) que celle des premiers Amérindiens (qui sont arrivés dans le Nouveau-Monde il y a au moins 30 000 ans, possiblement avant même que les premiers hommes de Cro-Magnon arrivèrent en Europe à partir de l'Afrique et du Moyen Orient pour prendre la place des hommes de Neanderthals). Bref, on peut dire qu'il y a des Autochtones en Amérique depuis aussi longtemps, peut-être davantage, qu'il y a des Européens en Europe. Et ce, qu'en déplaisent aux fabulations de Réjean Morissette. Au Québec, la plus ancienne présence humaine retrouvée jusqu'à maintenant date d'il y a au moins 10 000 ans, comme l'atteste les découvertes au site archéologiques du Lac Mégantic. À titre comparatif, les premières villes comme Çatalhöyuk et Jericho n'existaient pas encore au Moyen Orient, et la France terminait de subir les effets de la dernière ère glaciaire. On connaît peu sur les Autochtones de ces périodes outre que les artéfacts retrouvés, de leurs filiations avec les groupes culturels actuels. Mais on pourrait aussi dire la même chose des liens entre les Français actuels et les prédecesseurs Cro-Magnons.


Légalement au Canada, les Autochtones (Premières Nations, Métis et Inuits) sont gérés par la Loi sur les Indiens, une vieille loi raciste basé sur des pourcentages de sang et de la médecine eugéniste. Certains ont un statut reconnu et sont inscrits auprès du gouvernement fédéral. Une situation un peu ridicule, dans le fond, parce qu'on le code d'appartenance d'un peuple amérindien appartient à un autre peuple issu de la colonisation européenne. Imaginez, un instant, qu'un Français ait à demander au gouvernement turc le droit d'être reconnu légalement comme un Français. D'autres Autochtones ne sont pas inscrits auprès du gouvernement. Des trois catégories d'«Indiens», on se trouve donc avec un total de six groupes, si on réparti les membres aussi entre inscrits et non-inscrits. Voilà qui complexifie le dossier.


Au Québec, les nations amérindiennes sont au nombre de 10 (à celles-ci se rajoute les Inuit, le tout formant les 11 Premières Nations); le Canada et les États-Unis en comptent plusieurs centaines. Ces 11 populations retrouvées au Québec sont les Abénakis, les Malécites, les Innus (Montagnais), les Wendats (Hurons), les Mohawks, les Naskapis, les Cris, les Anishnabe (Algonquins), les Micmacs, les Attikamekws et les Inuits. Ces 11 nations forment des groupes culturels distincts. La langue innue est aussi différente de celle de Mohawks que le français du chinois. Certaines langues sont apparentées, au même titre que le français, l'espagnol et l'italien sont des langues latines, que l'allemand, le néerlandais et l'anglais sont des langues germaniques; trois groupes de langues autochtones existent au Québec: les langues algonquiennes (Algonquins, Innus, Naskapis, Cris, etc.), les langues iroquoïennes (Wendat, Mohawk), et langue inuite. Personne ne parle «l'indien».  


Si on combine les variations de statuts légaux (inscrits ou non), on peut obtenir 22 catégories. Si on rajoute les différences liés aux mariages mixtes (Métis), le nombre augmente encore. Ces divisions, créées par le gouvernement colonial canadien, servent à créer des inégalités et semer la discorde au sein des communautés des Premières Nations.





[texte à compléter]