Saturday, October 5, 2013

La charte des valeurs québécoises : démocratie à la dérive



Je suis athée.

Personnellement, je considère qu'un monde meilleur débute le jour où tout le monde renoncerait aux religions: la superstition est une entrave au développement de la science, le dogme est un outil d'exclusion et qui génère nombre de violence. Un monde peuplé de libre penseurs serait mieux. J'aimerais que les gens soient de mon avis, mais d'un autre côté, obliger les gens à partager cet avis serait absurde et irait à l'encontre de l'essence même de la libre pensée. On ne peut pas protéger la démocratie en limitant la liberté d'expression. La charte des valeurs québécoises, dans une certaine mesure, rappelle le cas états-unien de l'amendement contre la désacralisation du drapeau américain, projet rejeté parce que le pouvoir coercitif octroyé au Congrès pour lutter contre l'endommagement du symbole va à l'encontre de la liberté (dont la liberté d'expression) que ce drapeau représente. Etre libre penseur, c'est en partie reconnaître aux gens le droit d'avoir tort quand, eux, ils choisissent d'adopter une religion. De toute manière, comme le relève Amin Maalouf dans ouvrage Les Identités meurtrières (livre incontournable pour toutes les questions relatives aux accomodements religieux que semble ne pas avoir lu Mathieu Bock-Côté), les dictatures dites laïques ont tendance à générer des extrémistes religieux parce que ces derniers carburent à la persécution et aux martyrs pour se sentir justifiés dans leur cause. Quand il est enterré, un germe prend racines.

Si Facebook et les médias sociaux nous ont habitué à bloquer les gens qui ont des opinions qui nous déplaisent, la vie en société ce n'est pas la même chose. On ne peut rendre invisibles les gens qu'on n'apprécie pas par la force de la loi. Si on n'aime pas côtoyer les gays, les musulmans ou (dans mon cas) les fans de Justin Bieber, on ne peut par l'arbitraire de la loi, par une quelconque charte, dicter que telle idée est bonne alors que l'autre est interdite d'affichage (bien que certaines idées peuvent, par contre, être ridiculisées). Sinon, ce qu'on appelle démocratie devient en réalité de l'ochlocratie, le pouvoir de la foule en colère. Et l'opinion de cette dernière est rarement éclairante, surtout quand il est question d'une problématique complexe comme celle des limites de la liberté de religion au sein de la liberté d'expression.


Voile et turban : le problème de la polysémie


Babushka ou Musulmane?
A priori, je suis d'avis que la religion n'a pas sa place dans les affaires de l'État si le gouvernement veut prétendre représenter tous ses citoyens sans favoriser parmi ceux-ci un groupe religieux particulier. Une charte de laïcité qui interdirait tous les symboles religieux peut paraître intéressante. Freedom from Religion before Freedom of Religion. Mais à bien penser, comment l'applique-t-on, cette charte? Prenons l'exemple du voile: d'un côté, il y a une musulmane pratiquante, qui par conviction porte le hidjab, et qui s'affiche donc avec un symbole jugé ostentatoire; de l'autre, il y a une grand-mère russe, portant elle aussi un foulard, simplement par tradition et donc n'est pas un symbole religieux ostentatoire. Les deux femmes ont acheté exactement la même pièce de tissu au même magasin. Elles le portent pour des raisons différentes. Dans ce cas-ci, ce n'est pas tant le foulard qui dérange, dira-t-on, mais le symbole qu'il représente. Le hidjab est souvent associé à l'extrémisme musulman. Or, un symbole, ça relève du monde de la pensée et c'est à se demander si le gouvernement ne veut créer pas une Police de la Pensée (Thought Police) au sein de sa fonction publique. Si on est libre penseur, qu'on souhaite défendre la démocratie, on ne peut commencer à encourager le gouvernement à gérer nos idées et à décider, arbitrairement, que tel voile est autorisé, alors que l'autre ne l'est pas. Le même problème surgit avec le turban: chez les Sikhs, c'est un symbole religieux, alors que pour Francine Grimaldi, ce n'est pas (oui, cet exemple est souvent repris). Si Monsieur Singh de l'Inde et Francine Grimaldi étaient tous deux employés du gouvernement provincial du Québec, le premier aurait à enlever sa coiffe qui constitue un signe ostentatoire, alors que l'autre pourrait la garder. On revient donc à une décision arbitraire, d'autoriser ou non un objet physique concret selon l'idée qu'il représente. C'est quoi la démocratie, sinon un débat d'idées, et comment peut-il y avoir débat si on se met à interdire certaines de ces idées?


Le virage à droite du Parti Québécois


Le Parti Québécois (PQ), qui est présentement au pouvoir, est un curieux amalgame de différents groupes souverainistes, de gauche et de droite, construit autour d'une idée principale: faire l'indépendance du Québec. Or, ce parti n'est plus réellement souverainiste. Certes, on me sortira l'excuse que le PQ forme un gouvernement minoritaire et ne peut pas se risquer d'entreprendre un referendum perdant de la question nationale, mais dans le concret, il n'y a rien qui est mis de l'avant pour promouvoir l'idée fondatrice de ce parti. Même l'idée d'une supposée «gouvernance souverainiste» est ridicule, dans la mesure n'importe quel gouvernement provincial, qu'il soit fédéraliste, cherchera à défendre auprès du gouvernement fédéral les domaines et les champs de compétences qui lui sont propres. Faire de la gouvernance souverainiste, c'est une façon molle d'être fédéraliste, une bien curieuse situation pour un parti qui se dit indépendantiste.

En plus de la question nationale, le Parti Québécois est souvent associé à la social-démocratie, supposément parce qu'il est «plus à gauche» que le parti affairiste des libéraux. Dans les faits, le PQ a été le parti de Lucien Bouchard, d'Éric Duhaime et de Maxime Bernier, tous des gens beaucoup plus proches de l'Institut économique de Montréal (IEDM), ce lobby de droite déguisé en think tank, que du CSN. Il aussi été le parti de François Legault, qui s'affiche maintenant ouvertement comme un pantin du patronat sous la bannière de la CAQ. Évidemment, le Parti Québécois a une aile progressiste, mais elle a été graduellement muselée, que ce soit par l'obsession du «déficit zéro» durant le règne de Lucien Bouchard ou par l'expulsion du SPQ Libre du PQ en 2010. Ni progressiste, ni indépendantiste, le PQ voit son leadership pour ces deux causes défié. Comme la nature a horreur du vide, et que ces causes trouvent toujours appui chez une partie de la population, on a vu naître au Québec deux nouveaux servant à jouer le rôle que les péquistes devaient remplir: Option Nationale, pour promouvoir la souveraineté, et Québec Solidaire, pour défendre les intérêts progressistes. Plutôt que de se remettre en question, le Parti Québécois a été rapide sur la gachette en prétendant que ces deux partis «divisait le vote souverainiste», comme si le PQ avait le monopole de la cause indépendantiste. Curieux silence de la part des péquistes quasiment une année quant à la présence d'un autre parti, la Coalition Avenir Québec de l'ancien péquiste François Legault, qui a grugé au Parti Québécois presque 10 fois de sièges aux élections de 2012 que ce que Option Nationale et Québec Solidaire ont pu rassembler ensemble.

Ayant tenté de jouer la «carte progressiste» pour rallier la gauche contre le gouvernement Charest aux dernières élections, le Parti Québécois s'est retrouvé minoritaire, et ce malgré l'impopularité du gouvernement précédent, rongé par les scandales et par ses dérives autoritaires. En un an, le gouvernement Marois a fait volte-face sur nombre de ses promesses, notamment la taxe santé qui déplaisait à l'Establishment financier (qui supposément souffre «d'angoisse fiscale»... non, mais pleurez-moi une rivière!). Révisant ses stratégies, et reconnaissant finalement que la CAQ est le principal obstacle à l'obtention d'un gouvernement majoritaire, le PQ a décidé de courtiser l'électorat de droite. Quelle droite? En voulant récupérer l'électorat de l'ADQ, dont plusieurs électeurs se considèrent orphelins malgré que le défunt parti ait essentiellement rejoint la CAQ, le Parti Québécois a décidé de réouvrir le débat sur les accommodements religieux (pour être clair, un accommodement raisonnable, c'est une rampe d'accès pour une personne en fauteil roulant, alors qu'un accommodement religieux, c'est d'offrir un menu halal dans un restaurant) afin de mobiliser ceux que je qualifie de «nationaleux» : ils sont assez nationalistes pour vouloir défendre ce qu'ils considèrent être la culture du Québec, mais pas réellement assez motivé pour régler le problème une fois pour toute en faisant l'indépendance nationale. Parmi les rangs des nationaleux, on retrouve aussi un lot d'islamophobes, pour qui le projet de la charte des valeurs est un bon moyen d'évincer les musulmans de la sphère publique, et des catholiques à qui on promet de ne pas enlever le crucifix (concernant le maintien du crucifix à l'Assemblée nationale, le texte de Sébastien Croteau, La dernière tentation de Bernard Drainville - Pour en finir avec le crucifix, jette un regard éclairant sur la situation). Sous le couvert de la laïcité de l'État et celui de l'égalité homme-femme (ce qui est redondant vu que ce principe est déjà appuyé par la Charte des droits et des libertés des personnes), le Parti Québécois tente de manière furtive d'imposer le catholicisme comme religion pour plaire aux quelques bérets blancs que ça pourrait intéresser.





[texte à compléter]




Sur la piste de l'Oregon



- Il ne faut pas juger les livres un par un. Je veux dire : il ne faut pas les voir comme des choses indépendantes. Un livre n'est complet en lui-même ; si on veut le comprendre, il faut le mettre en rapport avec d'autres livres du même auteur, mais aussi avec des livres écrits par d'autres personnes. Ce que l'on croit être un livre n'est la plupart du temps qu'une partie d'un autre livre plus vaste auquel plusieurs ont collaboré sans le savoir. C'est tout ce que je voulais dire au sujet des livres et maintenant je vais essayer de dormir. Bonne nuit.

Jacques Poulin, Volkswagen Blues, p.186



Le nez enfoui dans les bouquins, je cumule les lectures, les bouquins s'empilent. Sans être en études littéraires (un progamme qui de toute façon mène « nul part », comme l'atteste Gilles Taillon, dont la plus haute qualification est un baccalauréat en littérature - un bien curieux choix pour celui qui allait être président du Conseil du patronat de 1998 à 2006 en plus d'avoir été brièvement le chef du parti affairiste qu'est l'ADQ - on voit que « ça sert rien » et que ça « ne correspond pas aux besoins du marché »), je retrouve un certain confort dans les livres. Après tout, un livre n'a pas besoin de recharger ses piles, il est souvent peu dispendieux à remplacer en cas de vol, il se fout éperdumment du signal wi-fi... et est beaucoup plus sécuritaire à manier dans la baignoire qu'un laptop! Dans le lot des lectures a surgit récemment une suggestion de ma «mégère apprivoisée» : Volkswagen Blues de Jacques Poulin. La panthère a été persistante. «Lit-le», dit-elle. Je me suis obstiné à ne pas le lire. Après tout, j'avais lu, il y a peut-être dix ans de cela, Le vieux chagrin du même auteur (ouvrage obligatoire dans un cours de tronc commun au cégep) et je l'avais trouvé ennuyeux avec l'anticlimax dont je ne souhaite pas dire davantage. J'étais repoussé par l'idée de refaire le même genre d'expérience, et je suis passé à d'autres ouvrages avant de céder à la proposition de la féline bibliothécaire.

Ce fut une agréable surprise, bien que je ne remettrais pas un prix Goncourt à Jacques Poulin, et je me suis rappeler de mes propres voyages dans l'Ouest canadien, revoyant dans mon imaginaire les Prairies et les Rocheuses, bien que les protagonistes du livre faisait le trajet en sens inverse. Les références historiques sont d'un grand intérêt, permettant de rappeler qu'avant que le Québec ne soit qu'une enclave francophone dans une mer anglophone, il y avait eu une Amérique du nord parcourue par les Français, une Nouvelle-France bâtie sur le voyage et sur les alliances entre Autochtones et Francophones. Ces références ne sont pas confinés à un espace statique et poussiéreux puisque Jacques Poulin, à travers le récit et les péripéties de Jack et de la Grande Sauterelle, redonne vit à l'Histoire dans un contexte contemporain.

Je m'imaginais aussi ma tendre moitié se projeter dans le personnage un peu bohême, voyageuse et amante des livres qu'est Pitsémine, une bien bizarre sorte d'«Inception», où en tant que lecteur je voulais deviner comment une autre aurait pu interpréter les mêmes passages. Je me demande aussi si la quête du personnage principal, celle de retrouver son frère Théo, ne cache pas un second sens (dans la mesure où Théo est le mot grec pour Dieu, ce qui ne serait pas étranger  à l'aspect «spirituel» du voyage, bien que le parcours semble dans l'ouvrage plus important que la destination). Et puis la présence du petit chat noir Chop Suey, qui me rappelle mon propre chat Félicité (qui me manque beaucoup).


«Tu vas aimer ça » disait-elle.

Elle avait raison.

(Voilà, c'est écrit, alors on ne pourra me plus me reprocher de vouloir avoir toujours raison... même si la plupart du temps mon avis est le plus pertinent ;P )


Je vais terminer American Gods de Neil Gaiman, et après je jeterai un coup d'oeil sur La tournée d'automne de Jacques Poulin.


Des fois, c'est plaisant d'avoir tort. :)

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Image (domaine public) :

http://en.wikipedia.org/wiki/File:1973-1980_Volkswagen_Kombi_%28T2%29_van_01.jpg