Tuesday, September 18, 2012

Pourquoi ça va mal au Moyen Orient ?





L'Océanie est en guerre contre l'Estasie. L'Océanie a toujours été en guerre contre l'Estasie.

- George Orwell, 1984



Les islamistes sont fâchés à cause d'un film...

On radote de ce temps-ci beaucoup d'âneries au sujet du Moyen Orient et des musulmans, question de faire peur au public, comme si on pouvait attribuer la responsabilité des actes terroristes de la part de factions radicales armées et de gouvernements voyous à l'ensemble d'une communauté qui compte 1 milliard de pratiquants, qui ne sont même pas majoritairement arabes. Certains médias et commentateurs médiocres aiment verser dans la thèse du choc des civilisations pour attirer l'attention et faire réagir le public plutôt que de faire réfléchir celui-ci aux enjeux réels de la politique internationale. Peut-être qu'ils le font pour manufacturer davantage de consentement pour une intervention militaire en Syrie ou en Iran... bien que le sort de la démocratie en Libye et en Iraq ne s'est pas amélioré suite à une invasion occidentale, attaque qu'on a déguisé en supposée libération auprès d'un public dupe. On fait l'autruche face aux bombardements quotidiens que subissent les peuples des pays du Moyen Orient, la tête bien dans le sable, question de forer pour pétrole bon marché. Pourtant le prix à la pompe ne semble jamais baisser, bien au contraire! Un gars de droite blâmera les taxes du gouvernement... évidemment. Des décennies d'attaques de la part de l'Occident ont créé dans le Levant une culture de colère dans laquelle des comportements normalement inadmissibles, comme le meurtre, deviennent acceptables s'ils sont commis envers l'autre. D'autre part, notre cinéma occidental, après avoir diabolisé les communistes durant la guerre froide, s'est trouvé une autre tête de turc après la chute de l'Union soviétique en présentant comme nouveaux antagonistes des terroristes musulmans, des êtres unidimensionnels dont le seul intérêt est de faire exploser des gens, y compris eux-mêmes, par mépris du succès de l'Amérique et par fanatisme pour une religion médiévale. On a déjà fait le même coup aux Amérindiens, en les présentant comme de simples sauvages dans les films western, bien que la sauvagerie provenait des colonisateurs.

Des deux côtés du conflit, on a procédé à une déshumanisation de l'adversaire. Les attaques de l'Occident ont été suivies d'attentats terroristes, auxquels les pays occidentaux ont riposter par la force, perpétuant un cycle de violence, de peur, de haine et de vengeance, tout en alimentant le lucratif marché de l'armement. La récente crise concernant le film L'innocence des musulmans n'est qu'un symptôme apparent de ce cycle de violence, plutôt qu'une réaction violente qui semble sortir de nulle part. Comme des hyènes, les commentateurs de la droite ont surgit sur l'occasion pour faire du capital politique pour leur cause et de l'auto-promotion auprès du troupeau de jambons qui les suivent. On réduit un cliché un milliards de personnes pour des actions commises par une minorité. A ce compte-là, aussi bien accuser le Vatican d'avoir téléguidé les attentats dans un cinéma en 1988 lorsque La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese a fait des mécontents chez les intégristes chrétiens.

Je pense que s'il faut avoir une quelconque réflexion valable concernant les enjeux politiques au Moyen Orient, il faut absolument évacuer une logique simpliste de simple cause-effet et avoir une approche davantage systémique. Quotidiennement, les gens peuvent être mécontents d'une décision politique, d'un film ou d'une caricature, mais d'habitude ils ne prennent pas les armes pour exprimer cette colère. Quoique l'attentat de Bain et le récent déluge de discours haineux de la part de la communauté anglophone du Québec envers les francophone me laissent inquiet. Il faut creuser davantage pour comprendre, mais jamais pour justifier, comment une personne qui se considère normale peut cultiver une hargne au point où elle peut accepter de commettre des atrocités, ou consentir à ce que celles-ci soient faites envers l'autre. Et ce, autant du côté du Taliban, qui participe directement aux combats, que de celui du pantouflard occidental qui appuie la violence de son propre gouvernement envers les populations musulmanes.


La mythomanie d'un patriotisme occidental


Les Francs, les Wisigoths, Roland et Charles Martel


Certains feront remonter l'antagonisme entre le monde occidental et le Moyen Orient à une quelconque obscure période médiévale, au cours de laquelle les Musulmans, entrant en Espagne, balayèrent le royaume chrétien des Wisigoths de la carte et auraient réservé le même sort à la France, si ça n'avait été de la riposte de Charles Martel. On tend, dans ces mythes fondateurs, à exagérer les différences entre le bloc dit chrétien avec celui des Musulmans et à fitrer les différences, nuances, qui existent à l'intérieur de chacun de ces ensembles pour donner une image d'homogénéité à ceux-ci. Or, ce n'est pas si simple que ça. Le pays de Charles Martel n'est pas la France, c'est un royaume où se mêlent diverses ethnies: une partie de la population, installée depuis des siècles, constitue un regroupement gallo-romain catholique (du moins pour les élites, surtout urbaines, alors que l'arrière-pays reste profondément influencé par les anciennes religions), lui-même tributaire d'antiques invasions et de brassages démographiques; un autre groupe, les Francs, se sont implantés tardivement lors des invasions germaniques et sont (nominalement) catholiques, surtout pour des raisons politiques. A ceci se rajoutent d'autres peuples, comme les Burgondes et les Wisigoths (qui s'était initialement installés dans la région de Toulouse avant d'être chassés en Espagne). La France de Charles Martel n'est pas un État-Nation, son territoire actuel étant divisé à l'époque en potentats et royaumes nationaux divers. La religion catholique semble toutefois jouer un rôle rassembleur, ne serait-ce parce que les chroniqueurs de l'époque étaient essentiellement en majorité des clercs de l'Église catholique, pouvant présenter un point de vue intéressé. Parler d'un bloc chrétien, ce serait tout de même sous-estimer les querelles entre les chrétiens qui le compose, surtout celles entre les Catholiques et les Ariens, (l'arianisme est une version du christianisme pratiquée par les Wisigoths et les Ostrogoths). L'Europe, à l'époque de Charles Martel, est un espace vaguement chrétien, sans réelle cohésion politique significative ou de sentiment d'identité unificateur. Le royaume des Francs en est un pour l'élite ethnique de ce territoire, mais cette appartenance est beaucoup moins importante pour la vaste majorité gallo-romaine dont la culture a des racines beaucoup plus profondes.



Du côté des musulmans, ou devrait-on dire des Omeyyades, la motivation première, la conquête et la razzia, éclipse celle de la guerre sainte. Alors que les chrétiens du royaume wisigoths convertissaient de force les juifs, les nouveaux occupants permettront une certaines liberté de religion contre un impôt particulier (dhimmi). Ceci est loin d'un traitement de faveur, mais tout de même une nette amélioration par rapport aux standards de l'époque. Les chrétiens d'Espagne qui subirent la conquête musulmane, les Mozarabes, eurent eux aussi le droit de continuer à pratiquer leur religion en tant que dhimmis, mais en plus certains ont christianisé la langue arabe avec le rite mozarabe. Comme les musulmans et les chrétiens croient en un seul même dieu (Allah en arabe, God en anglais, Dieu en français, Dei en latin), acceptent Jésus Christ (bien catholiques, ariens et musulmans aient des interprétation différentes) et s'appuient sur l'héritage judaïque d'Abraham, l'Islam pouvait paraître comme une simple variante du christianisme. Le carême et le ramadan ont des similitudes. Les conquis, qu'ils soient juifs ou chrétiens, wisigoths, suèves ou hispano-romains, ne formaient pas un bloc homogène; les conquérants, composés d'Arabes et de Berbères, non plus. Dans une certaine mesure, les invasions musulmanes en France au 8e siècle s'inscrivent en continuité avec les invasions diverses des siècles précédents, qu'elles soient germaniques, hunniques, hongroises, et de celles des siècles suivants lors des raids des Vikings. Pour des gallo-romains du Ve siècle au IXe siècle, il y a peu de différences réelles entre les invasions de tous ces peuples qui amènent avec une langue et une culture qu'ils imposent en tant que nouvelle élite: les coups d'épée du Sarrasin sont aussi douloureux que ceux de la hache du Viking, de la lance du Byzantin ou de la francisque de Clovis.

La seule différence qui pouvait réellement survenir lors d'une invasion musulmane, c'est celle au niveau des institutions religieuses et du pouvoir de l'Église catholique. Alors que les Francs et les Vikings arrivent successivement en France en tant que païens, avec des institutions peu sophistiquées faisant d'eux des cibles faciles à la conversion au catholicisme, les Wisigoths, les Ostrogoths et les musulmans, eux, ont déjà des institutions et une liturgie plus développés et sont donc plus résistants à l'emprise de l'Église catholique. Dans le cas de l'arianisme pratiqué chez la caste dirigeante formée par les Wisigoths et les Ostrogoths, cette différence religieuse, cette hérésie, ne fait que restreindre l'accès du clergé à l'élite, bien que l'Église reste influente auprès de la population gallo-romaine; par contre, l'Islam, qui partage avec le catholicisme la volonté de devenir une religion universelle (contrairement au judaïsme, qui se contente d'être la religion d'un seul peuple), s'ouvre à tous les groupes ethniques, à toutes les couches sociales de la société, possèdent ses propres prêtres et possèdent un add-on de la Bible qu'est le Coran. Comme j'ai déjà auparavant, l'Islam et le christianisme ont de nombreux points en commun, notamment que le personnage de Jésus s'y trouve et qu'il s'agit de la même divinité qu'on prie, bien que pour défendre les intérêts de l'Église catholique, on a occulté ces deux points et a encouragé le développement d'une propagande qui simplement diabolisait le musulman en tant que autre. Si bien que dans la Chanson de Roland, on voit le raid des Basques, pourtant bien chrétiens, être attribué à des musulmans, qui en plus vénèrent... Jupiter. Durant le Haut Moyen-Age, l'Église aura efficacement multiplié un ensemble de faussetés afin de créer un épouvantail musulman, si bien qu'aujourd'hui, bien des gens n'arrivent même pas à comprendre que Allah, c'est exactement le même personnage que Dieu, alors que cette confusion n'existe pas quand les Américains parlent de God, et très peu savent que Jésus apparaît aussi dans le Coran. 



(texte à compléter)

Friday, September 14, 2012

Créer de la richesse au Québec ?




LA CRÉATION DE RICHESSE


Développement durable
L’expression est devenue quasiment un slogan de cette droite, néolibérale, qui se dit lucide, question d’attaquer ad hominem leurs détracteurs gauchistes qui comptent parmi eux ceux qui souhaitent préserver le modèle social-démocratique (tout en l’améliorant avec des réformes qui le rend plus efficace). Plutôt que d’être rejetée, cette expression devrait être réapproprié par la gauche et retrouver son sens véritable. À l’intérieur des activités de marché, la richesse d’un pays s’exprime en PIB, qui n’est pas une preuve absolue, mais tout de même un indice. S’il a le défaut de ne pas prendre en considération les activités hors-marché qui se déroulent aussi dans une économie (e.g.: une personne qui cultive un potager pour ses propres besoins ne contribue pas aux activités de marché), le PIB fournit tout de même d’importantes informations. Un PIB en croissance est l’indice d’une économie en santé. Donc, dans un marché, créer de la richesse, c’est augmenter le PIB. C’est simplement logique de reconnaître que plus on a des revenus, plus on a de possibilités à faire des dépenses dans des domaines profitables pour tous : santé, culture, éducation. Inversement, moins on a de revenus, à cause d’une faible productivité, d’une dette ou d’un déficit, moins on a de possibilités. Évidemment, il faut tout de même faire attention quand on compare des éléments macroéconomiques avec ceux qui sont microéconomiques : le Québec n’est pas une entreprise, ni un ménage, et bien pauvre est le programme économique d’un candidat disant qu’il souhaite gérer le Québec en bon père de famille…


Le PIB a aussi un défaut inhérent au capitalisme financier: il ne tient compte que de flux monétaires et n'intègre par les coûts environnementaux liés aux activités de production, comme la pollution et la déforestation, ni l'impact sur le tissu social, comme c'est le cas avec la vente de l'alcool qui génère d'importants revenus, certes, mais aussi l'alcoolisme. Une réelle création de richesse devrait donc nécessairement inclure de mesures pour minimiser les impacts négatifs sur la société et l'environnement et ne pas se limiter seulement à faire croître le PIB. Certains parleront de PIB vert.


En tant qu'indice, et non preuve, de prospérité économique, le PIB par lui-même dit peu sur le niveau de vie d'une population. La Chine, avec ses milliards d'habitants, a un PIB plus grand que celui du Québec, mais n'offre pas forcément une meilleure qualité de vie. Un futé pourra alors parler de PIB par habitant, un ratio permettant de mieux comparer la richesse relative des gens d'un pays à l'autre. Jusqu'à un certain point, ça fonctionne. Toutefois, le PIB par habitant a le grand défaut de ne pas bien indiqué la répartition de la richesse dans une société donnée: si dans une plantation de 100 habitants, une seule personne possède 1 millions de dollars et le reste sont des esclaves sans le sou, la moyenne indiquera que $10000 par habitants; si dans le village voisin, 100 personnes sont libres et possèdent tous 9000$, il y aura toujours un économiste de droite pour ne voir que l'indice abstrait et dire qu'ils sont bien pauvres... L'exemple semble un peu extrême, mais tout de même, quand 1% de la population s'accapare actuellement 99% de la richesse, on peut se demander si nos chaînes ont tout simplement une autre forme. Certainement que la maison du maître de la plantation est à Sagard. Une réelle création de richesse doit nécessairement inclure une répartition de celle-ci qui soit juste et équitable, et non une simple dilapidation du bien commun qui ne fait que créer une poignée de riches. La création de richesse, quand elle se fait d'une manière responsable sur le plan social et environnemental, est un objectif souhaitable pour le Québec. Mais quand on procède de manière néolibérale, on vide l'expression de son sens.


Si pour certains, la création de la richesse passe avant la répartition de celle-ci, d'autres feront sourciller en affirmant le contraire: c'est d'abord en répartissant la richesse qu'on peut la créer. Ça semble contre-intuitif, car évidemment, si on est sans le sous, on ne s'enrichit pas en dépensant le peu qui nous reste. Mais l'État n'est pas un ménage, les principes microéconomiques ne s'appliquent pas forcément au niveau de l'économie de l'ensemble. On le sait, bon nombre de dépenses de l'État créent des retombées économiques et même la droite justifie, par exemple, le Plan Nord en fonction non pas du coût comptable du projet (jugé comme étant déficitaire), mais en fonction des emplois créés, des impôts payés, et des dépenses de consommation engendrées par ces travailleurs. Malgré mon désaccord avec le Plan Nord (qui ne mesure pas suffisamment les impacts sociaux et environnementaux, sans compter qu'il se fait au mépris des populations autochtones), il reste que la répartition de l'argent obtenus par l'impôt est un moyen pour le gouvernement du Québec d'investir et de faire fructifier cette somme, en encourageant le développement d'emplois qui généreront des impôts encore plus importants et qui permettront une plus grande consommation que l'État peut taxer. En investissant en éducation et en formation professionnelle pour augmenter la qualité de la main-d'oeuvre, le gouvernement crée de la richesse (Qualité de la main-d'oeuvre * Quantité de main-d'oeuvre = PIB).


UNE APPROCHE PAR LA BASE



Au Québec, un bon exemple de ce qui conjugue formation professionnelle, protection de l'environnement, développement économique et responsabilité sociale est celui du réseau CFER (Centre de Formation en Entreprise et Récupération) dont la mission peut être résumé à aider les élèves en difficulté académique (1er et 2e cycle du secondaire) tout en leur donnant une formation préparatoire au marché du travail, dans un contexte qui encourage l'élève à devenir un citoyen engagé sur le plan environnemental. Concrètement, il s'agit d'une formation en alternance entre l'enseignement théorique du programme régulier adapté pour élèves en difficulté (une forme de rattrapage de la formation initiale) et la participation à des projets écologiques comme «le démantèlement de la quincaillerie de ligne d'Hydro-Québec, le tri de la quincaillerie de Bell Canada et le reboisement urbain de la Ville de Victoriaville.» Même si le programme s'adresse aux jeunes en difficulté scolaire, l'élève qui y participe est appelé à développer ses compétences en français, en mathématiques, en anglais, en sciences, en géographie, en histoire, éducation physique autant que celui qui évolue dans le cheminement régulier; il ne s'agit d'un système éducatif de second ordre pour les cancres. On offre de la culture générale, ce qui est transférable, au lieu de se limiter à des compétences spécifiques. Le réseau CFER a pris certains éléments qui semblent inspirés de la formation duale allemande, notamment l'alternance entre les études en culture général à l'école et la préparation à l'emploi en milieu de travail, mais est aussi resté dans le sillon habituel qu'est celui du rattrapage en formation initiale. En bout de ligne, l'innovation en matière de formation professionnelle ne passe pas nécessairement par l'imitation d'une recette de manière intégrale, mais par le recours à l'approche de la contingence, de manière à ce qu'on adapte les établissements et la façon d'organiser aux besoins de la communauté.

 
J'ai résidé à Victoriaville, « berceau du développement durable », pendant plusieurs années. Je me suis familiarisé avec le réseau CFER simplement en passant devant l'établissement à tous les jours en me rendant à l'école. En fait, le premier CFER a été créé à Victoriaville en 1990 comme une initiative locale plutôt que d'un projet ministériel (une approche «bottom-up» et non «top-down»). En 1995, au moment où j'effectue mon entrée au Cégep, le premier élève certifié d'un CFER est reconnu par le ministère de l'éducation. L'année suivante, 12 succursales sont ouvertes et un réseau CFER est créé. Quelques temps plus tard, en 1998, lors mon premier stage en enseignement au secondaire à la Polyvalente Louis-Joseph-Papineau à Montréal, la direction était bien surprise que je sois familier avec leur «nouveau» programme de l'établissement. Pour ma part, je trouvais bien particulier que ce soit la succursale qui est à Montréal et le siège social dans la région des Bois-Francs plutôt que l'inverse. Depuis 2010, le réseau CFER compte 21 établissements en opération. Ce réseau possède des partenariats avec plusieurs grandes entreprises et sociétés d'État, comme Bell Canada, Hydro-Québec et Bureau en gros, qui souvent offrent des contrats de travail aux élèves formés par le réseau. Mais ce qui distingue les relations du CFER de celles qu'ont les autres milieux éducatifs avec les entreprises, c'est que les activités conjointes servent à atteindre des objectifs liés à la responsabilité sociale de l'entreprise (RSE), comme la récupération de composantes chez Bureau en gros, plutôt que de servir de besoins de productivité immédiats. Ces partenariats publics-privés sont aussi davantage orientés vers les besoins de la composante «offre» du marché du travail (les employés).

Le cas du réseau CFER en région n'est pas unique dans le domaine de la formation professionnelle. On retrouve à Victoriaville d'autres établissements, comme l'École nationale du meuble et de l'ébénisterie (qui, comme le CFER, a un rapport inversé avec la métropole en ayant une succursale à Montréal)[6] et le Centre de formation professionnelle Vision 20 20. L'innovation dans la formation de la main-d'oeuvre peut provenir la base, des communautés elles-mêmes, plutôt que d'une décision prise au sommet par le gouvernement qui impose des solutions mur-à-mur.

On peut spéculer pourquoi la formation professionnelle occupe autant de place à Victoriaville. La première impression, c'est que la ville est un centre régional, qui offre des services (e.g.: l'hôpital, les centres d'achats et le cégep) à l'ensemble des villages et des plus petites communautés, mais n'a pas suffisamment de poids démographique pour attirer chez elle une université (alors que deux centres régionaux à proximité, Trois-Rivières et Sherbrooke, ont ce genre d'établissement). Les gens qui suivent «la voie royale» (primaire-secondaire-cégep-université), s'expatrie à l'extérieur de la ville pour recevoir une formation universitaire (bien que le cégep de Victoriaville offrent plusieurs cours de niveau universitaire en agissant comme campus de l'UQTR), puis parfois reviennent pour trouver un emploi. Comme les autres villes comblent pour une bonne part les besoins en formation universitaire de la main-d'oeuvre de Victoriaville, le manque à gagner se trouve alors chez les gens qui ne veulent pas poursuivre des études supérieures, notamment les décrocheurs scolaires (qui risquent de devenir des chômeurs chroniques). Si l'alternative à la «voie royale» est la formation professionnelle, il semble logique que la communauté en région oriente ses efforts vers celle-ci, alors que les centres plus peuplés misent sur le développement des universités et considèrent la formation professionnelle comme une préoccupation de seconde zone.  Au fil des ans, ce choix de développement aura permis à la communauté de développer une plus grande expertise en matière de formation professionnelle, d'exercer un leadership dans le domaine, et même éclipser la métropole en y installant chez celle-ci des succursales de ses propres établissements. La seconde impression, qui concerne spécifiquement le CFER, c'est que la mairie de Victoriaville donne depuis des décennies une place de premier choix aux enjeux environnementaux dans sa stratégie de développement, que ce soit un service de cueillette des matières recyclables mis en place bien avant celui de Montréal, des projets d'habitation durable et la mise en ligne d'un bottin vert. La création  du CFER est peut-être une initiative du milieu éducatif, mais la présence dans le gouvernement local d'une culture favorable aux activités de recyclage et écologiques a offert un terreau fertile pour que croisse ce centre de formation professionnelle. Les interventions du gouvernement local de manière directe (puisque le centre est financé publiquement par les taxes) et indirecte (retombées politiques favorables à l'environnement) ont contribué au succès du CFER, et laisse présager que la formation professionnelle ne devrait être laissé seulement aux entreprises pendant que l'État se ferme les yeux, mais que le rôle du gouvernement est de créer les conditions gagnantes, une culture favorable, pour que cette coopération se déroule de manière optimale.

D'autre part, si la formation professionnelle au Québec devrait faire l'objet d'une plus grande intervention de l'État, notamment pour réduire le chômage, le sous-emploi et favoriser la croissance d'un marché intérieur québécois pour les biens et services qu'on produit nous-mêmes (et donc devenir moins vulnérables aux fluctuations des marchés internationaux), cet interventionnisme accru n'est pas forcément synonyme de décisions prises au sommet et de grandes politiques nationales qu'on applique à la province comme si on passait un rouleau-compresseur. Le rôle de l'État peut être assumé par ses plus petites composantes, que ce soit les gouvernements locaux que sont les mairies ou les établissements scolaires (approche bottom-up, ou ce qu'on appeler le principe de subsidiarité). 

Le cas du succès du réseau CFER, qui est passé d'un seul établissement à une vingtaine de succursales, montre que la formation professionnelle et les activités écologiques peuvent être une source de développement économique d'une communauté plutôt que de simples dépenses, que les entreprises peuvent bénéficier d'un virage vers la responsabilité sociale, et que les initiatives en éducation peuvent provenir de la base. Il y a certainement moyen de s'en inspirer pour non seulement développer des projets qui vont augmenter le PIB du Québec, mais qui vont créer réellement de la richesse pour son peuple.

Wednesday, September 5, 2012

Élections 2012 au Québec


Inutile de dire que hier soir, comme je m'y attendais, j'ai perdu mes élections. Loin de moi l'idée d'appuyer un gouvernement libéral majoritaire avec Frisou à sa tête, encore pour un quatrième mandat. Il était temps que les choses changent, et c'est pour ça que j'ai donné mon appui à Jean-Martin Aussant et Option Nationale plutôt que voter pour la stagnation qu'est l'alternance entre le bleu et le rouge dans ce duopole qu'est la politique provinciale québécoise. Je ne le dirai jamais assez, mais pour que chaque vote compte, et pour éviter les vicissitudes du gerrymandering (découpage douteux des comtés pour avantager le parti qui est pouvoir). Toutes sortes de chroniqueurs émettent déjà depuis hier soir des opinions à qualité variable, mais plutôt que de laisser aux trois consortiums médiatiques ce que je dois penser, je vais poser moi-même cette réflexion sur les élections.


Une défaite salutaire pour les libéraux



Sans aucun doute, Jean Charest est le grand perdant de la soirée. Ivre de pouvoir, pour lui le quatrième mandat aura été comme la bière de trop dans une fête un peu trop arrosée: ça n'a pas passé. Les gens ont voter massivement pour le Parti Québécois, malgré que le comté du premier ministre sortant (ça fait du bien de l'écrire!) soit entouré d'une mer de circonscriptions rouges. Cassé! Mais bon, même si les poubelles sont sorties, il reste la question du renouvellement du Parti Libéral du Québec. Comme j'ai dit dans un texte précédent, Jean Charest, c'est le Raspoutine de son parti: enlever le bouc-émissaire qu'il est, et on voit rapidement que ça cloche au PLQ. Bien que ce soit un parti de centre-droite et fédéraliste, souvent historiquement impliqué dans des magouilles, que ce soit celles de l'époque de Taschereau ou de Godbout, et sous l'influence de la famille Desmarais, il faut tout de même admettre que ce parti n'est pas l'autre droite, plus radicale et extrémiste, que défendent Richard Martineau, Éric Duhaime et les autres jambons. La droite guidoune du Parti Libéral du Québec est tout de même préférable aux extrêmistes, comme le Parti Conservateur du Québec. Et le PLQ, c'est aussi l'ancien parti de Jean Lesage et celui de René Lévesque. Je pense que dans les dernières décennies, par peur du vote souverainiste et un peu par opportunisme, les libéraux se sont choisi de l'extérieur un chef connu, populaire, qui peut gagner des élections, plutôt que d'en produire un au sein de leurs rangs. Comme le monstre de Frankenstein, le PLQ s'est greffé une tête dirigeante. Le résultat aura été celui d'une créature bien forte, comme l'atteste 3 mandats consécutifs, mais un peu hors de contrôle. L'ancien premier ministre Charest, issu du parti progressiste conservateur, n'était pas un libéral proprement dit, et il a fait dévié son parti vers le néolibéralisme et des politiques par moments carrément fascistes. Il doit y avoir chez les libéraux une sérieuse période de remise en question pour que le parti retrouve ses anciennes racines, celle d'un mouvement politique de droite qui prône la liberté individuelle et l'entrepreneuriat, mais qui l'équilibre aussi avec les besoins collectifs, notamment en prenant des mesures comme la nationalisation de l'électricité. La défaite de Jean Charest est une victoire non seulement pour le peuple, mais c'est l'occasion rêvée pour que les libéraux puissent enfin faire le ménage dans leurs propres rangs et proposer au Québec un vrai projet de société, qu'on soit d'accord avec celui-ci ou non, plutôt que de vendre à rabais le bien commun et paupériser sa propre population.



La vague Fruit Loops n'aura pas lieu


Jeune parti aux vieilles idées, la Coalition Avenir Québec (CAQ) n'aura pas réussit à s'imposer comme celui du changement auprès des Québécois. L'horrible logo n'a pas rayonné comme kaléidoscope à travers toute la province. La CAQ n'a pas formé l'opposition officielle comme l'ADQ avait réussit en 2007, mais malheureusement se trouve beaucoup plus avantagé même avec moins de députés parce que ce parti détient la balance du pouvoir. Pour des raisons pragmatiques de financement de campagne électorale, bien que la CAQ prétend qu'elle ne fera pas coalition avec le nouveau gouvernement péquiste, ce qui est curieux pour un parti qui s'appelle coalition, il y aura une dose de realpolitik dans les relations entre le deuxième parti d'opposition et le PQ. Évidemment, quand la CAQ est le fruit d'un ego trip d'un ancien péquiste frustré et que la première ministre était sa rivale, on peut s'attendre à ce que le ton hausse une fois de temps en temps. Il y aurait aussi possibilité d'une autre coalition, celle des caquistes et des libéraux, mais à l'heure actuelle le PLQ n'a pas de chef élu à l'Assemblée Nationale, donc ne peut offrir aucun remplacement pour Pauline Marois (et les libéraux n'accepteront pas Legault comme premier ministre).

Le but de la CAQ dans le prochain mandat est de prouver qu'il n'est pas la saveur du mois, que ce parti est là pour rester, qu'il représente une réelle option politique pour l'électorat qui penche à droite, qu'il peut faire ce que l'ancienne ADQ visait. Comme le parti n'est que le produit d'un marketing douteux, créé par une approche top-down et non constitué à partir de la base par le peuple lui-même, il faudra temps et efforts pour que de vrais militants remplacent ceux qui ont eu des cartes de membres gratuites (parmi lesquels figurent deux chats). Ce parti n'est que le fruit de l'opportunisme, je souhaite que la CAQ échoue, que l'amateurisme de l'organisation apparaissent au grand jour, que l'électorat se désintéresse de François Legault et que la CAQ soit reléguée au rang de curiosité historique, au même titre que l'ADQ et le Crédit Social. Dans les prochaines années, faute du scrutin actuel, un grand bal entre le PQ et le PLQ sera orchestré pour que chacun de ses partis traditionnels puissent récupérer une bonne partie de l'électorat de la CAQ, alors que les troupes de François Legault devront constamment louvoyer entre les deux.


Deux, c'est mieux


Pour la plupart des partis, finir la soirée avec deux députés élus serait synonyme de débâcle, alors que pour Québec Solidaire, se fut ressenti comme un triomphe. QS est un parti peu connu, pour lesquels les gens ne votent pas, et parce que peu de gens votent pour ce parti, il n'est pas très présents dans les médias... ce qui forme un cercle vicieux. Pour percer le mur de l'impasse, il faut se faire connaître, avoir des représentants à l'Assemblée Nationale. Et c'est certain que deux, c'est peu, mais pour eux, c'est double. Françoise David a bien sûr bénéficié d'un certain effet suite à son passage au débat des chefs, et j'espère qu'elle maximisera dans le prochain mandat sa visibilité accrue. Québec Solidaire pourra enfin montrer qu'il est autre chose que Amir Khadir. Je suis tout de même un peu déçu que le parti n'a pas réussit à aller chercher suffisamment de votes pour détenir la balance du pouvoir auprès du Parti Québécois et que les efforts de Manon Massé n'ont pas été récompensés.


Le nouveau gouvernement



Je ne ferai pas de 180 degrés en disant que j'apprécie maintenant le nouveau gouvernement péquiste et sa reine, Pauline Ière. Mais il faut regarder certains éléments positifs: le plafond de verre dont sont victimes les femmes vient d'être soulever un peu avec l'arrivée du première femme à la tête du Québec. Dorénavant, le poste le plus élevé du gouvernement provincial est accessible aux incompétents autant qu'aux incompétentes, la société québécois ayant surmonté ses vieux préjugés sexistes. Je n'aime pas Pauline Marois, je crois qu'elle est opportuniste, qu'elle manque de vision et de constance dans ses convictions, mais j'avoue que j'ai quand même un certain plaisir de voir que son gouvernement ait chassé les libéraux après 3 mandats de corruption et conservatisme déguisé.

Je suis aussi très déçu de la fin de la soirée électorale, où un anglophone a commis l'impensable en devenant un terroriste: qu'on déteste Jean Charest ou Pauline Marois, ça va, mais l'assassinat politique en démocratie est complètement inacceptable, tout comme l'est le terrorisme. Certains auront dit que la faute revient à Pauline Marois, qu'elle a fait du wedge politics pour attiser la haine, mais je trouve ce genre de commentaire complètement idiot. Au mieux, ça revient à l'enfantillage de "c'est elle qui a commencé", au pire, c'est comme si on déresponsabilisait un violeur et comme blâmait sa victime.

Autre geste inacceptable et irresponsable, c'est celui de la désinformation comme on le voit dans l'extrait suivant:




Il y a tout de même de limites à mentir aux gens, d'accuser sans fondements le mouvement étudiant. Lapierre et Dumont, deux morons. TVA sombre toujours plus bas comme organe de propagande de la droite. Le réseau devrait être poursuivi pour diffamation.

Mais bon, comme j'aurai la possibilité de critiquer le gouvernement péquiste pendant les prochaines années, je préfère conclure sur une note positive en saluant Pauline, l'humaine, en espérant qu'elle puisse se remettre rapidement de la pire soirée de sa vie, qui fut paradoxalement la meilleure. Mais surtout, je veux souligner que le héros Denis Blanchette, 48 ans, a laissé sa vie pour empêcher que le 4 devienne un deuxième jour de tragédie en septembre.


Le départ


Pour terminer, je suis un peu déçu de la performance d'Option Nationale, qui peut être expliquée en partie par l'origine récente du parti et son absence de visibilité dans le débat des chefs. Aussi, la promotion du parti est difficile quand la souveraineté est le projet de deux autres partis (bien qu'ils ne s'engagent autant). J'étais réaliste, tout de même, et je ne m'attendais pas à des résultats fulgurants. Tout de même, l'absence de Jean-Martin Aussant à l'Assemblée Nationale laisse un grand vide. Mais je reste optimiste. Il faut prendre du mot départ un autre sens que celui d'abandonner, de quitter: ce mot signifie aussi commencement, le début d'un parcours. Option Nationale a terminé le premier kilomètre de son marathon et la route est encore longue avant de crier victoire. Présentement, bien que la force du parti est son talent avec le nouveau mode de campagne 2.0 (alors que les autres partis sont absents, versent dans la tendance d'il y a 3 mois ou font des "tweeds"), les vieilles méthodes et les médias conventionnels fonctionnent encore très bien et les vieux partis savent en tirer profit. Mais à long terme, la société se transforme, des jeunes deviennent de nouveaux électeurs alors que les aînés apprennent de plus en plus à utiliser l'internet. Si un caillou (celui qu'on a enlevé de son soulier...) placé début d'un ruisseau pour changer le cours d'un fleuve, les réseaux constitués par Option Nationale maintenant seront utiles à mesure que le web prendra de plus en plus de place.    


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Bref, on a un gouvernement péquiste minoritaire pour encore 6 mois, le prochain budget va pencher davantage à droite, le PLQ est à refaire, François David commence à faire sa place, et les jours de la CAQ sont peut-être comptés.