Thursday, December 8, 2011

Comment Mathieu Bock-Côté chercha à voler Noël.


Un classique qui revient (malheureusement) chaque année


C'était la nuit avant Noël et tous les enfants allaient dormir,
à part Bock-Côté qui était seul, en train de gémir

«Zut! Regarde cette triste tranquillité!
Comment, alors, me faire remarquer?»

Mathieu se mit alors à fouiner dans toutes les maisons,
et c'est chez Abdullah qu'il se trouva une raison

«M'en prendre à l'Islam, pour être en ondes?
je ne musulmanquerait ça pour rien au monde!»

Et le dodu lutin écrit un torchon en moins d'une heure
Pour susciter à tous les poissons une grosse peur

Le lendemain, la fête de Noël ayant été politisée
Tout l'événenement se trouva alors gâché

Sauf, évidemment, pour le petit MBC
content de s'être fait enfin remarquer.

Il alla voir son maître, la langue bien pendue
vanter combien de journaux qu'il avait vendu.



* * *

Depuis plusieurs années, on le constate il y a une dégradation de la qualité du contenu dans les médias conventionnels écrits. Si je reconnais une certaine qualité à la plume de Mathieu Bock-Côté, tout en étant en désaccord avec la plupart des opinions (je considère qu'il devrait se limiter aux sujets qu'il connaît, notamment le parlementarisme québécois), je ne peux être aussi généreux avec des gens comme Éric Duhaime et Richard Martineau qui, systématiquement, publient des textes bâclés qui n'ont aucun effort de recherche. «Ces textes sont fait pour faire réagir» diront certains, alors que d'autres iront plus droit en disant que la polémique, c'est fait pour vendre des journaux.

Je crois que c'est prendre le public pour des imbéciles.

Je suis aussi persuadé qu'il est temps que tout médium recevant des fonds publics, que ce soit des subventions ou des capitaux propres provenant de la CDP, devrait être obligé de faire partie du conseil de presse et être imputable du contenu qu'il diffuse. Après tout, c'est l'argent de nos taxes, et Québécor doit nous rendre des comptes.

Et la liberté d'expression?

La liberté d'expression est un droit individuel.

La plupart des individus, à titre de particuliers, n'ont pas accès à une machine médiatique pour faire valoir leur opinion sur la place publique – c'est ce que les gens d'Occupons Montréal ont maintes fois souligné. Exiger à un médium une limite minimale de qualité de contenu est une manière de protéger le public contre la désinformation et d'éviter que n'importe quel tourbier, avec suffisamment de moyens financiers, puisse marteler sa démagogie dans tous les médias.

* * *

Pour ceux qui ne le savent pas encore, je suis athée. J'ai une aversion à la plupart de religions, particulièrement le catholicisme, parce qu'elles offrent des réponses un peu trop faciles, qui souvent ne demandent aucun effort intellectuel au-delà de la pensée magique. Les religions font aussi la promotion de l'intolérance envers certains groupes minoritaires. Dans un monde idéal, l'être humain aurait abandonné ce paradigme pré-scientifique pour quelque chose de plus évolué. Intégriste laïc me diront certains, mais ce qui me diffère de l'intégriste c'est que je reconnais le droit aux gens d'avoir tort, de pratiquer leur religion en privé, de croire au Père Noël, d'avoir un ami imaginaire ou  de lire leur horoscope. Les réels intégristes, qui sont chrétiens autant que musulmans, cherchent à jouer à qui pisse le plus loin et à absolument nous embrigader de leur (bock-)côté. Et comme disait Groucho Marx à propos de la religion: « Je ne voudrait pas me joindre à un club qui veut de moi comme membre.» Personnellement, je n'irai pas chez vous pour vous empêcher de faire la prière, mais je trouve par contre qu'elle n'a pas sa place dans une réunion de conseil municipal (et heureusement que certains maires brillants ont remplacé ça par une période de recueillement, permettant à tous, dans le confort de sa conscience, de prier ou non, selon sa volonté).

Pour reprendre Amin Maalouf, le gros problème des religions occidentales, c'est qu'elles sont mutuellement exclusives: si on peut être bilingue en parlant anglais et français, on ne peut être à la fois musulman et chrétien en même temps. Ces appartenances mutuellement exclusives sont sources de nombreux problèmes. Ailleurs, notamment au Japon, c'est possible d'être à la fois bouddhiste, shintoïste, taoïste et confucéen, car ces religions et philosophies traitent de dossiers qui leur sont spécifiques. Parce qu'elles sont mutuellement exclusives, les religions judéo-chrétiennes permettent de consolider les liens au sein d'un groupe social (parfois un aspect positif) et exclure les gens de celui-ci (le côté négatif), ce qui signifie que les religions occidentales peuvent devenir un outil politique, notamment pour consolider la base populiste des mouvements conservateurs et réactionnaires. Et souvent, c'est le cas. Dans cet aspect, les imams, les preachers et les démagogues catholiques deviennent des synonymes avec des costumes différents.


* * *

Revenons à Noël et à son Grinch...


En signant son récent torchon La guerre contre Noël, Mathieu Bock-Côté n'a même pas fait d'effort de mise à jour de la trame narrative qu'il a plagié de Fox News, ni d'effort pour trouver un titre adapté au contexte québécois. C'est du vieux War on Christmas de Bill O'Reilly, de Glenn Beck et de tous les autres cinglés de la chaîne de propagande continue de la droite américaine. Mais bon, un titre n'est pas un article (à part pour Richard Martineau, qui semble avoir des capacités limitées).

Selon MBC, Noël, le «coeur de l'identité québécoise» serait menacé par des musulmans (peut-être parce que ceux-ci ne veulent pas voir la vierge Marie porter le hidjab dans la crèche?).

Bon, «Nowell», ce n'est pas spécifiquement québécois: il y a différentes façons de célébrer cette fête à travers le monde. Pour les Grecs orthodoxes et les Russes, l'événement se déroule à une autre journée (vieilles histoires de calcul du calendrier). Les Témoins de Jehovah ont des pratiques plus austères, question de se distancer de rites qu'ils jugent trop païens, comme échanger des cadeaux. Les Juifs vont faire un tour au restaurant chinois en famille.



La façon de célébrer Noël «typiquement québécoise» n'est pas la même à travers le temps (tout fini par changer, surtout quand on compare un article de Richard Martineau écrit dans le Voir et ceux qu'il fait maintenant pour le Journal de M...): à l'oie d'antan, on a substitué la dinde et le sapin de Noël est une «importation» allemande, popularisée d'abord dans les milieux anglophones protestants (les Canadiens-français, eux, avaient la crèche, qu'ils finirent par placer sous le sapin). Noël en tant que composante culturelle n'est pas un élément figé dans le temps, tout comme la culture elle-même n'est pas un concept immuable qu'il faut protéger de toute menace extérieure. Les choses changent, certains éléments s'ajoutent, d'autres disparaissent: c'est ce qui permet l'évolution d'une société et évite qu'elle devienne arriérée. Par contre, ce qu'on veut qui se rajoute dans l'espace culturel de la société québécoise (e.g.: baladi, shish taouk) et ce qu'on ne veut pas (e.g.: burqa, charia), ça se discute.

Et puis, Noël, de toute manière, c'est un copier-coller de l'ancienne fête iranienne du dieu solaire Mithra (que dirait Duhaime de ça?), festin auquel on a simplement changer le nom du dieu pour celui de Jésus, puis qui a été mélangé à des symboles scandinaves (le houx du dieu Baldr) et celtes (le gui des druides, symbole de fertilité) et qui finalement a été partiellement remplacé par une nouvelle mythologie, celle du Père Noël, de la fée des étoiles et des lutins, où les éléments religieux sont finalement évacués.

Si vous aimez vraiment Noël, sachez que le véritable danger pour cette fête est d'abord sa commercialisation à outrance, la sauce s'étirant du 1er novembre jusqu'au mois de janvier (sans oublier le Noël du campeur en été...), vidant la fête du 25 décembre graduellement de toute substance. Que dire des fêtes aussi creuses de sens que le «Boxing Day», journée tellement insipide et artificielle que la culture québécoise n'a même pas encore trouver de mot en français pour l'intégrer, mais prévisiblement, le 26 décembre, l'équipe TVA sera présente pour un reportage à La Cordée, comme à chaque année. Et le «Black Friday»? Cette journée de novembre, que certains veulent importer, a servi à faire oublier au public avec la surconsommation et l'endettement, les inégalités économiques et sociales qu'avaient dénoncé le mouvement Occupons Montréal. L'autre danger, très évident, est la politisation de Noël par la peur, mouvement encouragé par les gens de droite, notamment MBC qui s'accroche à des idées complètement dépassées et sans nuances d'un monde divisé entre le «Bien» et le «Mal». Grandit un peu, Mathieu.


«Soyons clair. Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Cela va de soi. Mais toutes les religions ne sont pas égales devant l'identité.»

Sauf que la religion appartient à la sphère privée, alors que la liberté de conscience, le «freedom from religion» (le droit d'être libre de l'influence de la religion) doit prévaloir dans l'espace public. Après tout, je suis Québécois, né ici, je ne suis pas chrétien, alors la chrétienté ne représente en aucun cas mon identité québécoise. Et puis, les gens de droite ne sont-ils pas partisans de la privatisation à outrance, pourquoi veut-ils que la religion soit un dossier «public».


Le christianisme a été importé en Amérique par des immigrants.


«Le Québec n'est pas une page blanche.»

Comme le fait remarquer Amin Maalouf, une société n'est ni une page déjà écrite à laquelle on ne peut rien changer, ni une page blanche où l'immigrant peut faire n'importe quoi sans prendre en considération la culture de sa société d'accueil: une collectivité, c'est une page en train d'être écrite, ce qui veut dire que les nouveaux éléments qui se rajoutent doivent être pris en considération et non être ignorés par la marginalisation, tout comme ces éléments nouveaux doivent s'intégrer pour faire du sens par rapport à ce qui est venu avant, question d'assurer une certaine continuité dans le récit. (Ce bout de texte est recyclé d'un autre de mes articles, question de faire comme Mathieu Bock-Côté et utiliser toujours le même contenu...).

Je pourrais continuer encore, mais je voudrais surtout mettre en évidence la malhonnête conclusion de son article: «Le christianisme a laissé une empreinte profonde sur la civilisation occidentale. Et le peuple québécois appartient à la civilisation occidentale. Mieux vaut l'assumer.» Dans le monde réel, un autre élément déterminent de l'identité occidentale est la laïcisation des institutions publiques, que ce soit lors de la Révolution tranquille ou celle qui l'a moins été en 1792, le rejet des explications simplistes des origines de la vie (Darwin) et l'avènement de philosophes comme Voltaire, Marx, Holbach et Nietzche...

L'opposition au christianisme a laissé une empreinte profonde sur la civilisation occidentale. Et le peuple québécois appartient à la civilisation occidentale. Mieux vaut l'assumer.

L'Occident est un caducée où deux cultures s'affrontent: une moderne, laïque et progressiste, l'autre théocratique, réactionnaire et conservatrice. Il y a depuis 500 ans un conflit entre ces deux cultures, un «Culture War», et la chrétienté n'est en aucun cas synonyme d'Occident.

Alors un petit message à Bock-Côté: à part si tu as besoin de torchons supplémentaires pour faire le ménage, cesse d'écrire prévisiblement le même texte, année après année. Mes sous à la CDP ne sont pas assez bien investis chez Québécor.

* * *

Ceci étant dit, à tous les autres, même si je suis athée, j'apprécie Noël pour ce que c'est réellement: un moment à passer en famille, avec de la bonne bouffe. Et ça, je ne veux pas qu'un imam du genre Bock-Côté vienne politiser cette journée et gâcher la fête avec des chicanes.

Alors joyeux Noël à tous !

(sauf aux trois zoufs qui écrivent pour Québécor)