Saturday, July 2, 2011

Eaux troubles: Marketing & Eau embouteillée



IMPORTANT

Je vous prie de prendre connaissance du texte suivant émis par ESKA Water relativement à sa récente campagne publicitaire.

Please take note of the following information issued by ESKA Water concerning its most recent advertising campaign.


« À la lumière des préoccupations soulevées au cours des derniers jours, ESKA met immédiatement un terme à sa plus récente campagne publicitaire. L'ensemble des publicités télévisées, imprimées et autres représentations de la campagne publicitaire, seront retirées du marché le plus rapidement possible. De plus, ESKA désire offrir ses excuses à tout ceux et celles qui auraient pu interpréter la campagne et ses images comme étant irrespectueuses. Assurément, tel n'a jamais été leur intention. Au cours des prochains jours, des représentants de l'entreprise vont rencontrer les dirigeants locaux de la communauté afin de réitérer l'engagement de ESKA à travailler en partenariat avec eux en plus de s'assurer que les prochaines campagnes publicitaires seront le reflet de la grande qualité de notre marque, mais aussi des valeurs des gens de la communauté. »


Jim Delsnyder
Président et chef de la direction
Eaux Vives Water Inc. (ESKA)


"In light of concerns that have been expressed over the past few days, ESKA Water is bringing an immediate halt to its current advertising and marketing campaign. All television, print and collateral representations of the campaign will be removed from market as quickly as possible. In addition, ESKA Water wishes to apologize to all those who may have found the campaign and its images disrespectful. Certainly, that was never our intention. In the days to come company officials will be meeting with local community leaders to reinforce ESKA’s commitment to working in partnership and to ensure that future marketing efforts reflect both the strength of our premium brand and the values of those in the community.”


Jim Delsnyder
President and CEO
Eaux Vives Water Inc. (ESKA)

INFORMATION :


Gilles Corriveau
VICE PRÉSIDENT, ENJEUX ET STRATÉGIE
g.corriveau@enigma.ca









Message originalenement paru: 


Extrait de la campagne publicitaire raciste d'Eska
Récemment l'entreprise Eska a eu la «brillante idée» de promouvoir son eau embouteillée avec une campagne publicitaire plus que douteuse, mettant en vedette trois «guerriers Eskans», une tribu sauvage imaginaire chargée de protéger depuis 8000 ans la pureté proverbiale vendue par cet entreprise, un lot d'abrutis primitifs dont on nous dit que tous les efforts ont été pris pour éviter toute ressemblance avec une population autochtone réelle. Sauf que... comme l'eau est extraite du territoire ancestral de la nation bien réelle des Anishnabés (Algonquins), l'image du sauvage arriéré utilisée par Eska et le racisme de nombreux Québécois, ceux qui sont tout aussi arriérés que leurs préjugés à l'égard des Autochtones, est facile à faire: la publicité de cette firme ne fait que renforcer 400 ans de mauvaise presse que subissent les Premières Nations, d'abord condamnés comme bourreaux des saints martyrs canadiens dans l'histoire populaire vehiculée par le clergé catholique, comme antagonistes à éliminer du chemin du Progrès dans les films Western qui forgèrent l'imaginaire collectif occidental, comme terroristes durant la crise d'Oka par les politiciens et les médias de masse, d'être qualifiés d'imbéciles par le Doc Mailloux est ses vieilles théories désuètes qui lient le Q.I. et l'hérédité (des théories que j'ai déjà dénoncé dans l'article Des colporteurs de pseudo-science), et maintenant  il ne restait qu'à être pointés du doigt par les firmes de marketing et les embouteilleurs d'eau (preuve qu'on fini par pouvoir tout privatiser, y compris la discrimation), qui non seulement exploitent les ressources, mais doivent aussi exploiter l'image des gens à qui elles appartiennent légitimement.







Je pense que l'entreprise Eska vient de verser une goutte qui fait déborder le verre.



Eska ne fait que réutiliser le blackface.
Tout d'abord, le problème de cette campagne publicitaire n'en est pas un qui est spécifique aux Premières Nations, car si on regarde attentivement les personnages présentés par les publicités d'Eska, on remarque que les personnages ne sont pas des Autochtones, mais simplement de mauvais acteurs peinturés en sauvage, exactement de la même manière que les gens de race caucasienne se maquillaient en personnages de race négroïde pour «être drôles» en agissant en imbéciles pour un public raciste blanc, une pratique maintenant largement abandonnée qu'on appelle le blackface. Dans le cas de la représentation Autochtones, on pourrait parler de «redface», si on se permet ce terme qui est à la fois un néologisme et un anglicisme, faute d'avoir une meilleure expression dans le moment immédiat.


Voici un montage extrait du film Bamboozled de Spike Lee qui montre l'utilisation du blackface dans les médias:






Maintenant, comparez le avec ce vidéo qui fait un survol rapide sur les utilisations du redface dans divers publicités racistes à travers le temps:





C'est du pareil au même.

D'autres on eu la même réaction que moi.






Les publicités d'Eska relèvent du minstrel show (un gala raciste similaire aux spectacles de variétés, avec les préjugés en «bonis») plutôt que du bon goût; de ces spectacles autrefois populaires, on retient ceci lorsqu'il est question de la représentation des Premières Nations:


"Non-black stereotypes played a significant role in minstrelsy, and although still performed in blackface, were distinguished by their lack of black dialect. American Indians before the Civil War were usually depicted as innocent symbols of the pre-industrial world or as pitiable victims whose peaceful existence had been shattered by the encroachment of the white man. However, as the United States turned its attentions West, American Indians became savage, pagan obstacles to progress. These characters were formidable scalpers to be feared, not ridiculed; any humor in such scenarios usually derived from a black character trying to act like one of the frightful savages. One sketch began with white men and American Indians enjoying a communal meal in a frontier setting. As the American Indians became intoxicated, they grew more and more antagonistic, and the army ultimately had to intervene to prevent the massacre of the whites. Even favorably presented American Indian characters usually died tragically. The message conveyed was that such people had no place in American society."


En continuité avec les minstrels shows, Eska présente les Autochtones comme étant des personnages que l'on doit craindre, des sauvages violents. Et si l'idée de présenter des sauvages n'est pas assez nulle par elle-même, on rajoute à l'insulte l'idée du slogan particulièrement médiocre: «La pureté bien protégée», surtout quand on pense d'abord spécifiquement aux différentes législations utilisées contre les Amérindiens dans les pays d'Amérique du Nord (Blood quantum laws) pour réprimer leur identité, et puis de manière générale à l'ensemble de législations liées à la préservation d'un peuple, comme les lois de Nuremberg en Allemagne, la loi de l'immigration chinoise de 1923 au Canada et les Black Codes aux États-Unis. Que personne dans l'équipe de marketing n'ait fait le lien me surprend, que la firme Eska ait donné le feu vert à la campagne publicitaire honteuse et à ce slogan raciste me dépasse, mais que les responsables de la STM et le journal Métro (pour que nommer que ceux-ci...) puissent aussi souffrir du même manque de jugement ne me suscite que du dégoût.


L'indifférence de 40% de Québécois, selon le sondage d'opinoin populaire réalisé par TVA, m'amène à me demander pourquoi, après plus de 400 ans de coexistence entre les Autochtones et les descendants de colons français, les Premières Nations du Québec et du Labrador n'arrivent toujours pas à être respectées. Si le même genre de publicité ciblait les groupes afro-américains, l'indignation des Québécois seraient plus forte, notamment parce que cette minorité bénéficie du support de la Ligue de Noirs du Québec, alors que les Autochtones ont encore tendance malheureusement à trop se laisser marcher sur les pieds, ou du moins n'ont pas encore les mêmes ressources pouvant servir à un recours juridique.

Certains diront que «c'est de l'humour», un peu comme quand on représente un Québécois vivant comme un bûcheron. Chose à noter, la différence avec l'autodérision et le genre de «blague» qu'on véhicule, c'est que dans le premier cas, le Québécois rit de lui-même, alors que dans le second, ce même Québécois utilise un rapport de forces qui est disproportionné en sa faveur pour simplement humilier l'Autochtone. Comme j'ai déjà dit dans un texte précédent (L'état de droit et la démocratie participative) à propos d'un cas de discrimination raciste que subissent les Amérindiens et les Inuits au Québec et du rôle de l'«humour» dans ce processus:


Ceci est observable notamment chez les humouristes quand on entend «j’ai du sang indien… sur mon hood de char» (une blague d’Auschwitz, tant qu’à y être?) ou «si le Québec et le Canada se sépare, qui va garder les Indiens durant la fin de semaine?» (très infantilisant comme remarque!). L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) devrait initier des poursuites contre ce genre de contenu haineux, et les Québécois devraient simplement s’indigner, au lieu de rire et d’applaudir. Et les humouristes ne sont que la pointe du iceberg de la discrimination envers les Autochtones au Québec: en Côte-Nord, il y a eu le cas de distribution de propagande haineuse par un groupuscule débile se désignant comme étant les Pionniers septiliens.

Les Québécois sont parfois xénophobes à l’égard des immigrants: ils ont une intolérance envers ce qui est nouveau, différent, qui s’érode graduellement: par exemple, l’antagonisme initial des Canadiens-français et des Irlandais s’est atténué avec le temps jusqu’à ce qu’on célèbre maintenant ensemble le 17 mars autour d’une bonne pinte de Guinness («everyone is Irish on Saint Patrick’s Day»). Dans le cas de leurs relations avec les Amérindiens et les Inuits, on peut parler carrément de comportement raciste (haine envers une minorité bien connue sur une période prolongée) chez certains, une approbation tacite de la part de la majorité, et un manque d’échanges culturels.


Et il y a tout le problème de la gestion de la ressource elle-même, quand on considère que la communauté algonquine de Kitcisakik n'a pas d'accès à l'eau potable et que ces Anishnabés sont considérés des «squatters» sur leurs propres terres ancestrales par le gouvernement d'origine étrangère qu'est celui du Canada, il y a quelque chose qui ne fonctionne vraiment pas. Alors c'est de rajouter de l'insulte à l'injure quand une firme comme Eska siphonne les ressources des Algonquins et en plus les insultent via ces publicités honteuses.

Comme on souhaite que les choses changent pour le mieux, le point de départ a été la création d'une pétition en ligne dans le média social Facebook, sous la forme de la page intitulée Contre les publicités racistes d'Eska. Vous pouvez aussi porter plainte aux Normes canadienne de la publicité (NCP). Ça prend deux minutes.

Autre que le retrait immédiat des publicités par Eska et les diffuseurs, il doit aussi y avoir des excuses de la part de ceux-ci données aux Premières Nations, ainsi que des sanctions de la part des autorités vu l'aspect dégradant de cette campagne publicitaire susceptible de renforcer des préjugés envers des populations déjà discriminées. Ces sanctions devraient servir à faire un exemple de cet entreprise afin d'éviter que d'autres suivre la même idée dans l'avenir.



AUTRES CONSIDÉRATIONS

Ce genre de publicité n'est pas le seul problème de l'industrie de l'eau embouteillée, comme le rapporte le texte suivant:



Structure du prix d'une bouteille d'eau


$0.10: Bouteille
$0.10: Marketing
$0.10: Étiquette, bouchon, emballage
$0.10: Transport, main-d'oeuvre, frais généraux et eau
$0.15: Marge de profit de l'embouteilleur
$0.15: Marge de profit du distributeur
$0.20: Marge de profit du détaillant


Eau pure ou pur marketing?

Selon une étude de la British Water Companies Association (BWCA) la vente d'eau en bouteille est l'une des plus grandes escroqueries de notre temps. Le litre d'eau que le consommateur britannique paie 1$ au supermarché coûte environ 700 fois plus que l'eau de la ville et il est prouvé qu'il n'y a pas de différence de qualité entre plusieurs eaux embouteillées et l'eau du robinet.

Pis encore, l'étude montre que la probabilité est 6 fois plus grande de trouver une quantité excessive de bactéries dans une bouteille d'eau que dans l'eau du robinet.

Pour satisfaire la demande en eau embouteillée, la Grande-Bretagne importe l'eau de pays aussi lointains que le Kenya et l'Inde – pays où la population locale manque d'eau. Une nouvelle marque d'eau apparaît sur le marché tous les 10 jours, et le commerce d'eau déverse annuellement 600,000 tonnes de bouteilles en plastique dans l'environnement.

Si vous consommez en moyenne 2,5 litres d'eau par jour et l'achetez au supermarché, préparez-vous à payez 75 000 $ durant votre vie pour étancher votre soif !

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Source: The Guardian Weekly, vol. 157, n.14, 5 octobre, 1997; Inc., mars 1986

Cet extrait est retrouvé dans le livre suivant:

D'ASTOUS et Jean-Paul SALLENAVE, Le Marketing en action: De l'idée à l'action, 3e édition, éditions Marie France, 2000, p.270


Images (domaine public):


Blackface: http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Minstrel_PosterBillyVanWare_edit.jpg